Emeric Davies

LE CITOYEN DU COSMOS written by Dominique Garreau De Loubresse.

De son propre aveu, Emeric Davies est né dans le plus beau pays du monde, plus précisément le pays des diamants, la Montagne aux Lions. Les initiés s'y retrouveront sans doute. Ayant appris seul à manier le pinceau, il peint ses premières toiles importantes dès l'âge de dix ans. Des études à La Sorbonne et à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris lui ont permis plus tard d'acquérir la théorie qui lui faisait encore défaut. Ce fut l'occasion d'affiner sa technique et de mieux connaître les supports les plus propices à ...l'épanouissement de son talent.

Devenu professeur de langue, de philosophie et d'histoire de l'art, versé dans les domaines contemporain et africain, c'est un spécialiste de l'art mende. Des parents artistes et intellectuels– une mère brodeuse sur canevas, de surcroît excellente danseuse, et un père musicien – lui ont transmis tous les dons. En effet, Emeric Davies ne se contente pas de peindre des tableaux. Il illustre aussi des couvertures de livres et dessine pour des journaux. Il est encore sculpteur, poète et écrivain, acteur, chanteur et ... musicien ! Il compte de nombreuses expositions à son palmarès, tant en Afrique (Sierra Leone, Cameroun, Afrique du Sud) qu'à Paris (expositions individuelles, Salon des Artistes Peintres du XVe arrondissement, Ateliers des Artistes du Monde) ou Chamalières (3ème Triennale Mondiale d'Estampes).

LA RECONSTRUCTION PERPÉTUELLE

Comme Courbet, Emeric Davies ne souhaite qu'une chose, être lui-même, plus que s'immiscer dans l'art des autres. Il peint peu d'après modèle, préférant souvent avoir recours à l'imagination. Travailler sur le monde réel l'aide surtout à maîtriser la perfection des formes, pour ensuite mieux se consacrer aux idées à un niveau supérieur. Ses oeuvres évoquent la reconstruction perpétuelle, qui, pour lui, est une réalité de la nature tout entière comme de la vie. Il peint en s'inspirant de ses racines et, en premier lieu, bien sûr, de l'Afrique, terre de ses ancêtres et berceau de l'humanité. Pour Emeric Davies, chaque homme a sa culture, son lieu de naissance mais il appartient avant tout au monde, voire à l'univers où il vit. C'est là qu'il se déplace de
gré ou de force, se transforme et passe le témoin de l'existence à d'autres. L'essentiel consiste à créer de l'harmonie dans un monde de contraste et de diversité.


Couple musical

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Comme il aime à le répéter, il est un ci-toyen de l'univers, le monde est son quartier.
Il proclame ce credo jusque dans ses poèmes :

 

Je suis malgré moi citoyen du cosmos
Mon identité n'est ni mon nom ni mon habit
ni forcément la langue de ma mère
ou le territoire de ma naissance
Elle est la totalité de mon âme
l'ensemble de mon être et ma culture
l'ensemble de mon passé et mon présent
mon présent qui était l'avenir de mes ancêtres
mon avenir indéfinissable par l'homme
comme le tien cher cousin inconnu.
Ma culture n'est pas un badge
qu'on attache sur un vêtement
comme un emblème nazi (...) 1.


Le fond des tableaux d'Emeric Davies est un vaste tissu chatoyant, où couleurs et formes dansent le rythme desidées. Il invite tout le monde à s'y retrouver : enfants, adultes, spécialistes de
l'art ou néophytes... On y aperçoit de nombreux motifs géométriques, notamment des carrés ou des losanges échos des diamants de son pays natal et des broderies de sa mère. Mais ses oeuvres invitent à un regard plus en profondeur, car l'apparence peut être trompeuse. En les examinant de plus près, on saisit à chaque fois une nouvelle perspective, un nouveau détail, une lumière jusque là ignorée surgissant des motifs, des objets, des gens.


MUSIQUE ET DANSE
La musique, le rythme, la couleur sont partout présents. Pour Emeric Davies, la vie est une danse, dont les gens sont les acteurs. Ils deviennent à leur tour des instruments de musique, beaucoup de tambours ou de calebasses, ces instruments à percussions nés, plus que d'autres, des bruits de la vie. Chocs, cliquetis, bruissements : l'homme frappe deux silex pour obtenir du feu; la rame du pêcheur racle avec régularité le bord de la pirogue; les femmes laissent tomber en cadence le pilon au fond du mortier pour écraser le grain. Musique et danse clament et célèbrent l'éternité, l'instinct de vie qui n'aspire qu'à rejeter toute la dualité du temporel pour retrouver d'un bond l'unité première où corps et âme, créateur et création, visible et invisible se retrouvent et se soudent, hors du temps. Pour mieux faire passer son message, l'artiste recourt à toutes les techniques (cire, pastel, peinture à l'huile, dessin, gravure...) et utilise surtout des couleurs primaires avec une ou deux couleurs secondaires à chaque fois. Le choix des matériaux n'est pas dû non plus au hasard. Les pigments purs, la peinture fabriquée avec des ingrédients de cuisine (piment, sucre, eau, huile, lécithine de soja, oeuf...) symbolisent le quotidien et veulent rappeler qu'on est, entre autres, ce que l'on mange. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme...


Danseuse à la fête

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 
DE L'UNIIVERSEL AU PARTICULIER
Les femmes éternelles, l'eau, celle qui baigne sa ville natale, constituent d'autres thèmes majeurs, d'autres sources de vie auxquelles s'abreuve Emeric Davies. L'emploi de poils d'animaux ou de sable, le thème récurrent de la feuille qui évoque les lignes de la main et du corps soulignent l'indispensable lien entre l'homme et cette nature sans laquelle il mourrait. Comme l'utilisation, dans certains tableaux, de l'aiguille qui répare les déchirures de la vie, ils évoquent l'universel à côté de thèmes particuliers. L'évolution, Dieu, la nature, avec leur côté mystérieux qui nous dépasse, représentent autant de sources d'inspiration pour Emeric Davies :

 
J'étais un grain de baobab
Sur ton chemin fertile
Et tu ne m'as pas confondu
avec des cailloux
Tu m'as même arrosé
jusqu'à ce que je devienne arbre
Aujourd'hui je te tends mes branches
Afin que tu récoltes sans limitation
les fruits de ta bonté
Et dès demain je partagerai
mes racines et mes fleurs
Avec les enfants de notre cause -
notre avenir commun 2.

 

   
Reconstruction avec duo musical    
     
     
   
Mère et enfant    

 

Dans nombre de ses oeuvres surgissent un fantastique onirique, des créatures et des objets imaginaires, qui rappellent volontiers le surréalisme. Lui préfère parler de métaphores, évoquant, par exemple, la calebasse qui ressemble à un sein. Il n'aime pas beaucoup qu'on le catalogue ou qu'on le fasse entrer dans des catégories prédéterminées.
En faisant revivre ce qui était hier endommagé, en participant à une reconstruction positive à sa façon, Emeric Davies chante son ode à la vie.Il nous rappelle que tout est possible et que l'univers reste beau au fond, même si le monde ne cesse d'être abîmé par certains de ces superbes animaux qu'on appelle les Hommes..."

1- Emeric Davies, Citoyen du Cosmos
(extrait).

(2) Emeric Davies, Du Grain à la Graine.

@ L'Arbre à Palabres, 2002, No. 11